GénéGallois

La famille, les histoires et l'Histoire

Normandie septembre 1941 - septembre 1944

Voici la transcription d’un courrier de Gabriel PLATEVOET adressé en 2004 à ses cousins, en particulier Andréa HAELEWYN. Soixante ans plus tard, il y fait la narration de la période entre septembre 1941 et septembre 1944.

Départ du domicile

Un dimanche de septembre 1941, alors que se terminaient les vacances, je fus invité par mon père à quitter le domicile, à l’instigation de ma marâtre de belle-mère. Il est vrai que j’étais devenu majeur et j’avais, peu de temps avant, surpris une conversation qui m’avait prévenu.

Mon père disait “Il partira comme les autres” (allusion à mes frères).

Vers midi, avec ma valise, je partis à pied pour me rendre chez Joseph Fontaine et Joséphine qui demeuraient à Heugon à trois kilomètres environ. De là, Joseph me conduisit à St Aubin de Bonneval chez ma tante Stéphanie Haelewyn. Ceci explique mon séjour, d’abord intermittent chez les cousins.

Le STO

En juillet 1943, je reçus mon ordre de départ au Service du Travail Obvligatoire en Allemagne. Je devais me rendre à Templehof en banlieue de Berlin. Sur l’insistance des cousins, je ne partis pas et devins réfractaire au STO1.

Ne pouvant rester à Bonneval chez Henri, je partis à la Châtellerie à Avernes St Gourgon où demeurait ALbert, avec Stéphanie, André et Andréa très jeunes, depuis qu’il avait quitté St Germain d’AUlnay après le décès de son épouse.

C’est ainsi que jusqu’à la fin de l’occupation allemande j’ai séjourné dans la famille Haeleywn, participant aux travaux de ferme suivant les besoins chez Albert, Norbert, Robert et Henri.

Albert me procura, par l’intermédiaire d’un gendarme de Le Sap, une carte d’identité avec cachet de la Préfecture sur ma photo et que je n’avais qu’à compléter en y inscrivant un nouveau nom : Georges PARMENTIER, né à Dunkerque en 1918.

En me vieillissant de deux ans je n’étais plus astreint au STO. Je pouvais donc me déplacer avec plus de sécurité. Je séjournais alors le plus souvent chez Albert ou Norbert, inconnu des voisins.

Le braconnage

Ayant acquis par observation une certaine pratique du braconnage, et la chasse étant interdite, les lapins pullulaient et je ne me suis pas gêné d’en prendre à la crocoutte ou en furetant2 en haut des crieres en bordure du bois, surtout en début 1944 au point de manger du lapin durant alors deux mois jusqu’à “plus soif”.

Un dimanche matin, une troupe d’allemands vient faire une battue aux sangliers dans le bois des crières, nous entendîmes leurs hurlements de rabatteurs et quelques coups de fusils. Vers 11 heures, après qu’ils furent partis, je dis au jeune commis d’Albert : “Après ce chahut, les lapins doivent être terrés. Tu viens, on va aller fureter." Partis avec le chien Rapide qui devait sentir les bonnes garennes, nous sommes revenus une heure plus tard avec 11 lapins.

Un jour furetant avec ALbert, le furet mordit celui-ci à un doigt et ne voulait pas lâcher prise. Pour ce faire, j’ai serré le cou du furet pour l’empêcher de respirer. Le lendemain, le furet était mort dans sa cage. J’ai alors dit à Albert que son sang avait dû l’empoisonner.

Le débarquement

Le 6 juin 1944 vint le débarquement. Vers deux heures du matin, n entendit au bois, venant de la la côte le bruit continu des avionset bombardements. Ce fut alors pour nous des passages de Messerschmitts qui repassaient en sens inverse peu de temps après et des combats d’aviation. Un Messerschmiit fut abattu dans la vallée de la Châtellerie par un canadien près du bélier qui servait à pomper l’eau pour la ferme d’en haut, route de Pontchardon.

Malheureusement, l’avion canadien, en ascension, accrocha la cîme des sapins près de la ferme. J’ai vu l’aviateur recouvert d’une toile de tous les débits de l’appareil gardés par des Allemands. L’avaiteur allemand revint le lendemain, marchant avec une canne, mettre le feui à son avion.

Albert était en rapport avec un voisin, route (de) Pontchardon, qui avait un poste à galène et nous donnait des informations sur les nuits du débarquement, autrement nous n’avions que les tracts anglais répandus par les avions.

Vers le 10/15 août, trois soldats allemands descendus à la Châtellerie demandèrent à Stéphanie de pouvoir se laver un peu à l’évier de la cuisine. Ils posèrent leurs vestes, ceinturons et révolvers sur la table. L’un d’eux nous dit alors que “la bataille de Caean était plus dure que celle de Stalingrad”.

L’inscription sur leur manche de veste indiquait leur unité combattante : Das Reich3.

Ils demandèrent à acheter du beurre. Alors j’ai conduit l’un à la laiterie où se trouvait Albert qui lui emballa du beurre dans des tracts anglais ramassés dans les herbages. On ne leur posa pas de questions qui auraient pu paraître indiscrètes.

En ce mois d’août, j’étais presque toujours chez Norbert et venais souvent à la Châtellerie, par chemins et bois. Il y avait beaucoup de mitraillage sur les routes et l’on voyait de la Châtellerie les avions alliés piquer et lancer leurs fusées au bout de la vallée sur la côte de la route Vimoutiers-Meulles où j’ai par la suite compté plus de 100 voitures, camions et tanks détruits. Un motocycliste allemandfut mitraillé sur la route tout près de l’entrée de la Châtellerie.

Un jour que j’allais aux nouvelles, route de Pontchardon, je traversais comme d’habitude le bois des Crières. À un carrefour de chemins une sentinelle allemande me mit en joue en me criant “Halte ! Papiers !". Je sortis ma carte d’identité… “Gut” Je suivis alors mon chemin par la doite. Une troupe allemande en retraite se reposait dans le bois à l’abri des branches. Ce jour là je n’eus pas de nouvelles et je rentrai chez Albert par le chemin en bordure du bois. Nous arrivions à la dernière semaine de la Bataille de Falaise4.

Récupérer la jument

Près de chez Norbert, à la Bataillère, une batterie de DCA5 resta deux ou trois jours. Un matin près du 15/8 vers 6-7 heures, Norbert revint à sa maison disant : “Ils m’ont pris Bichette” sa bonne jument trotteuse. Une compagnie de la Wehrmacht en retraite était passée en fin de nuit par le chemin, venant d’Avernes avec chevaux et charrettes. Je dis à Norbert “Ils ne doivent pas être loin, car ils ne se déplacent plus en plein jour à cause du mitraillage, je vais aller voir où ils sont”.

Je les ai trouvés à un petit kilomètre, dans un chemin creux, abrités des haies, en train de s’installer pour la journée et se servir en fourrage dans la ferme voisine. J’ai emprunté le chemin parmi eux sur cent mètres environ, les chevaux d’un côté et les charrettes de l’autre. C’étaient tous des chevaux trotteurs. Personne ne m’a rien demandé, mais je n’ai pas pu reconnaître la jument de Norbert, tant les chevaux se ressemblaient.

Je suis retourné comme j’étais venu et j’ai expliqué la situation. Estimant avoir 7 ou 8 chances sur 10 de réussite comtpe tenu de la fatigue des Allemands, j’ai demandé à Alcide s’il voulait venir avec moi pour reconnaître la jument et de prendre une longe pour pouvoir ramener éventuellement Bichette. Nous avons trouvé les Allemands continuant à s’installer et sommes passés au milieu d’eux. Il y avait là au moins 50 chevaux. Arrivés presque au bout du cantonnement, Alcide reconnut la jument. C’est alors qu’une sentienlle nous demanda : “Que faites vous là ?" Je lui répondis “Je voudrais parler au chef”. Il nous conduisit à celui-là quelques mètres plus loin.

Le chef venait de s’allonger pour dormir, la tête sur son sac. Je luis dis : “Bonjour Monsieur, vous avez pris ce matin un cheval près d’ici, je voudrais si possible le récupérer." Il répondit : “Egal, egal”. Je le remerciais et dit à Alcide : “va chercher Bichette”, ce qu’il fit en présence toujours de la sentinelle.

Il y avait là une barrière pour passer dans la cour de la ferme voisine, nous sommes partis par là. Le fermier et la fermière étaient sur le pas de leur porte et nous virent avc étonnement avec la jument. Ils connaissaient Alcide. Je pense que la sentinelle qui parlait français était un alsacien, soldat allemand malgré lui. La chance nous avait souri.

La libération

Les 16-17-18 août, mercredi, jeudi, vendredi, le mitraillage sur les routes se fit sans arrêt. Il m’est arrivé, en faisant vite, de compter 25 avions volant à la ronde. À partir du samedi 19, plus de mitraillages, des avions d’observation seulement. Les Allemands partaient à pleie route à Meulles.

Le 22 au matin, quelques tirs de mitrailleuse, puis plus rien. Une patrouille de Canadiens français sur une Jeep vint en reconnaissance jusque chez Norbert, nous étions libérés. Ils burent, avec modération, un peu de calvados offert par le maître de céans.

Un des jours suivants, nous sommes partis à cinq dont Norbert et Henri chez Louise à fresnay le Samson. Albert y était allé prendre des nouvelles. Louise ne pouvait conserver toutes ses bêtes à cornes, car ses clôtures avaiaent été démolies par les troupes allemandes. Nous avons donc ramené chez Albert un troupeau d’une vingtaine de bêtes.

Albert avait eu son cheval trotteur pris. Il en obtint un autre en remplacement. Il l’appela Adolphe, il fallait le commander en allemand.

Visite en Belgique…à vélo

Vers le 10 septembre, Albert voulant aller à Neuve Eglise accompagné par moi, nous sommes partis tous deux à bicyclette. Son frère Robert qui avait un bon vélo me l’avait prêté. Le premier jour nous nous sommes arrêtés pour la nuit à Neufchâtel en Bray, le lendemain à Bruay en Artois, le reste de la route se fit le matin du troisième jour.

Albert demeura chez sa belle-mère Mathilde De Paepe et moi chez oncle Augustin Careye. Nous sommes restés une petite semaine. Albert aurait voulu revenir par le train, je suis donc allé en agre de Lille me renseigner sur les possibilités. L’accès aux trains était très limité. Il me fut répondu : “Vous êtes venu à vélo, il vous faut retourner à vélo”.

Nous avons fait le retour en deux jours avec un nouvel arrêt à Neufchâtel. Le retour fut plus rapide, 220 kms environ en deux jours, il faudrait croire que le retour à l’écurire était stimulant et peut-être que l’air du pays d’origine avait fortifié Albert.

J’allais oublier de vous signaler, qu’alors qu’il n’y a pas de lièvres dans le secteur de la Châtellerie, nous en avons mangé cependant une fois. En effet, en fin juin 1944, je suis allé chez Robert aider à finir la fenaison, dernière décade du mois.

Dans les derniers jours, alors qu’avec Robert nous étions allés voir des génisses dans un herbage, un lièvre détalla. Je demandais alors à Robert s’il y avait du fil de fer pas trop gros. Il me fournit celui-ci. J’ai posé deux collets, connaissant les habitudes des lièvres. Le lendemain j’avais deux beaux lièvres pris. Cela me permit d’en rapporter un à Avernes.

Pour conclure

Il me reste à témoigner des qualités de droiture et franchise d’Albert et de l’aide efficace et remarquable que lui apporta sa mère, ma tante Stéphanie qui, outre la cuisine, s’occupait d’André et Andréa très jeunes.

Si un jour vous passez par la route Mont Kemmel - Locre, après le monument aux soldats français, à droite au pied du Mont, vous verrez deux fermes reconstruites après la guerre 14-18. C’est là qu’étaient les fermes des grands-parents Haelewyn et Deschildre. C’est un cousin Deschildre de Neuve-Eglise qui m’a informé de celà alors que nous y passions.

Je suis repassé à la Châtellerie en juin 1947, ALbert était alors remarié avec Agnès.


  1. explication du STO ↩︎

  2. “en furetant” signifie chasser avec un furet qu’on introduit dans le terrier. ↩︎

  3. infos sur l’unité ↩︎

  4. bataille de falaise ↩︎

  5. DCA ↩︎