GénéGallois

La famille, les histoires et l'Histoire

Printemps 1918

Mes grands parents paternels, Charles HAELEWYN et son épouse Stéphanie DESCHILDRE, occupent une ferme à droite de Mont Kemmel, lorsque l’on descend le mont du côté de l’ossuaires français. Leur ferme est située entre les deux fronts ennemis sur la commune de Locre, où Papa est né.
La bataille fait rage. J’ai entendu ma grand-mère raconter qu’ils ont vécu plusieurs semaines dans leur maison, sans vitres, suite aux bombardements. Des soldats anglais stationnaient dans la cour de la ferme. Un matin, un gradé, sortant de la cuisine où il était venu faire chauffer de l’eau pour le thé, a été pulvérisé par une bombe.

En 2013, je suis allée dans cette ferme, dont il n’était resté que quelques morceaux de murs. Elle a été reconstruite à peu près au même endroit, et était alors occupée par des agriculteurs. S’en suivit le dialogue suivant :

  • D’où venez-vous ?
  • De Normandie.
  • Ah ! de Normandie ! Je connais, ma femme a de la famille là-bas.
  • Où ça ?
  • À Le Sap
  • Au Sap, mais je connais ! Comment s’appelle cette famille ?
  • Julien Van Den Berghe
  • Mais je les connais ! C’étaient de grands amis de mon Père, et Julien fut notre subrogé tuteur (à mon frère et à moi) après la mort de notre mère.

Le monde est vraiment petit.

Donc, au printemps 1918, au mois de mai je crois, mon Père et ses frères et sœurs partent en colonie pour enfants belges réfugiés, à Chevilly la Rue, au sud de Paris. Cette institution était encadrée, entre autres, par Soeur Elisabeth (Marie Deschildre), la sœur aînée de Marraine Stéphanie, qui était religieuse au Couvent de Neuve-Eglise. Ne restaient avec les parents que les jumelles Louise et Joséphine, nées à l’automne 1917.

Ils ont voyagé peut-être par le train : J’ai entendu raconter qu’on séchait les couches entre les wagons… Peut-être avec des chariots à 4 rues et des chevaux : l’oncle Jules, frère de ma grand-mère, et célibataire, les a accompagnés.
Il semblerait que la famille Platevoët (Irma sœur de Stéphanie) habitant Dranoutre (ou Locre) ait fait le même périple, en même temps. Les deux sœurs Stéphanie et Irma étaient enceintes, et j’ai souvent entendu Marcel Platevoet dire qu’il aurait pu naître dans le train.

D’après le courrier reçu par mon grand-père et daté du 19 mai 1918, je pense que la famille a transité par Paris et peut-être stationné là-bas, et qui sait peut-être à Chevilly la Rue.

En cette année de fin de guerre, beaucoup d’hommes étaient partis, étaient encore sur le front, ou étaient morts. Beaucoup de fermes en Normandie, comme ailleurs sans doute, étaient exploitées par les femmes, ou plus exploitées du tout. Ce qui peut expliquer l’échange de courrier entre M Labiche, propriétaire habitant Louviers dans l’Eure, et mon grand-père.
Je ne sais comment mon grand-père Charles a eu connaissance de cette offre, ni comment il a contacté le notaire de La Ferté-Fresnel. Toujours est-il qu’ils ont fait affaire, et que les grands-parents et leurs enfants sont venus habiter à Ternant, jusqu’en 1920 je crois.

Pendant tout ce déménagement, Papa et ses frères et sœurs sont donc allés à cette colonie de Chevilly la Rue. Comment sont-ils allés là-bas ? Qui les a accompagnés ? Je ne sais pas.
Mais Papa a toujours dit y avoir été très malheureux.

Sa tante, Sœur Elisabeth, était très sévère. C’était la guerre, et à part ne pas être à la rue, ils manquaient de tout, étaient soumis à une autorité qui se manifestait parfois par des coups.
Charles, parti voir ses enfants, arriva un jour alors que deux “encadrants” corrigeaient physiquement un enfant. “Faut-il que je vous aide ?” a t’il dit d’un ton qui ne demandait pas de réponse. Tout est aussitôt rentré dans le calme.

Combien de temps sont-ils restés là-bas ? Je l’ignore. Quelques mois peut-être, je ne sais pas.

Puis ils ont rejoint la famille à Ternant. Sur la route Monnai-Villers en Ouche, en descendant la côte, on tourne à gauche et à quelques centaines de mètres, voire un kilomètre, existe une grande maison en pierres. Ce n’était pas luxueux si on en juge par la photo prise, ci-contre, peut-être en 1922.

1er rang : Louise, Joséphine (Josse), Henri, Julia
2nd rang : Valère, Charles HAELEWYN, Stéphanie DESCHILDRE, Robert
3ème rang : Maria, Albert, Irma, Norbert
Charles HAELEWYN, Stépahnie DESCHILDRE et leurs enfants. vers 19220

au 1er rang Charles assis avec Louise sur son genou droit, Joséphine sur son genou gauche, Stéphanie assise avec Henri sur ses genoux, à côté d’elle Robert et Julia. Derrière eux en partant de la gauche Valère qui semble porter le même nœud lavallière qu’à Chevilly, Maria, Albert, Irma, Norbert

Combien de temps sont-ils restés là ? Je ne sais pas.
Les enfants ont fréquenté l’école de Monnai. Ils allaient à pied, bien sûr ; environ quatre kilomètres. Les jours de marché au Sap, les gens rentraient en carriole et les gamins s’accrochaient derrière.

Papa racontait aussi qu’ils piquaient les fesses des chevaux avec des épingles plantés dans des demis bouchons. Oh ! Les chenapans ! En retour, les occupants de la carriole leur balançaient des coups de fouet.

Mais cela ne les empêchaient pas d’être de bons élèves. Arrivé en France à 10 ans et ne connaissant pas la langue, Papa a passé avec succès son certificat d’études à 12 ans. Il aurait aimé poursuivre ses études pour être vétérinaire, mais étant l’aîné des garçons, il a dû tout de suite se mettre au travail de la terre pour seconder son père.

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