Ecole
Dès l’âge de 5 ans, après les vacances de Pâques 1948, je suis allée à l’école à Avernes. Nous allions à pied, à travers prés et bois, et nous revenions de même qu’il fasse beau, qu’il pleuve, qu’il vente, qu’il neige, ou qu’il fasse nuit.
Nous emportions avec nous notre gamelle, que nous laissions en arrivant “au bourg”, chez Monsieur et Madame Siaudeau.
Lorsque la cloche sonnait midi au clocher, c’était la fin des cours du matin, et nous nous précipitions à l’église, avec les filles Maillet et les filles Demarquay.
Là, nous attendait Madeleine Siaudeau (plus tard mariée Mazuier), et nous disions La Prière (peut-être une dizaine de chapelet : un Notre Père et dix Je vous salue Marie).
Puis, toujours accompagnés de Madeleine, les filles Maillet, André et plus Alain, et moi, allions chez M et Mme Siaudeau. Nous mangions à la même table qu’eux, et notre gamelle avait été réchauffée. Nous étions ainsi bien installés et au chaud, et un peu couvés.
Monsieur Siaudeau était un ancien gendarme de la brigade du Sap. Il était “gardien” pour les châtelains d’Avernes, c’est à dire de riches parisiens, possédant des plantations aux Antilles, et qui avaient acheté le vieux château et les terres qui l’entouraient, plus cette grande maison bourgeoise, qui devait être à l’origine la ferme du château.
Monsieur Siaudeau était un jardinier émérite. Il cultivait un immense jardin qui produisait tout au long de l’année fruits légumes et fleurs.
Madame Siaudeau et Madeleine étaient des maîtresses de maison et des cuisinières hors-pair. Les pâtisseries, confitures et autres mets n’avaient pas de secrets pour elles, et elles avaient l’art de transformer un plat tout simple en un festin qui nous faisait envie :
- ces petits gâteaux secs, à la peau du lait, foncés en leur sommet avec une petite cuillère, pour accueillir un peu de miel récolté dans les ruches (par Monsieur Siaudeau) qui bourdonnaient ça et là, dans le jardin près des fleurs, dans les bois ou les haies avoisinantes.
- ces pommes de terre, en rondelles, bien assaisonnées, bien rangées, joliment parsemées de persil finement ciselé
- et enfin ces pommes flétries, mangées en fin d’hiver, et qui me faisaient envie !
Elles avaient l’art aussi d’égayer la maison avec de jolis bouquets, tout au long de l’année : fleurs de jardin, rameaux de feuilles des bois, en cours d’éclosion au printemps, ou richement colorés à l’automne.
Madame Siaudeau rayonnait : autour d’elle un halo de douceur, de bonté, de gentillesse, de compréhension, mais qui n’excluait pas une morale sans faille. Madeleine était aussi l’infirmière du village. À vélo ou à pied, elle allait, au gré des besoins, faire un pansement, une piqûre. Pas chez nous, car Papa excellait en la matière.
Donc, nous allions à pied, à l’école, à travers bois.
Les jours d’orage, ou de grand vent, nous avions peur de ces grands arbres qui se balançaient au-dessus de nos têtes.
Quand il y avait de la neige, nous jouions en cours de route, à faire notre portrait dans la neige.
Quand c’était l’époque du muguet, des châtaignes ou des merises, notre itinéraire s’allongeait, changeait de direction.
Quand il y avait une chasse dans les bois, nous chantions à tue-tête pour ne pas être pris pour cible.
Quand nous découvrions une truie, échappée d’une ferme voisine, qui avait fait ses petits dans les bois, nous allions demander à droite, à gauche, à qui elle appartenait.
Ainsi quelques fois, nous rentrions très tard à la maison, ce qui nous valait de nous faire sermonner, et nous ne l’avions pas volé.
Mais que de moments aussi à observer ce monde de la forêt :
- les champignons multicolores, mais nous avions défense d’en cueillir,
- les mousses si fragiles avec leur petite coiffe,
- les parterres d’anémones blanches, puis les nappes de primevères, puis les jacinthes bleues,
et aussi les bousiers, ces coléoptères tout noirs, sans parler des limaces.
Alors ça, les limaces : des petites, des grosses, des longues, des grises, des jaunes, des noires. Et en plus, elles bougeaient leurs cornes quand on les titillait avec une brindille.
À cette activité, le temps passait sans qu’on s’en aperçoive.
Cela nous a valu d’arriver en retard, et de devoir copier 50 fois : je ne m’arrêterai pas en chemin à regarder les limaces !
Insolite aussi, cette rencontre que nous faisions une ou deux fois par an. Nous l’entendions de loin : il chantait des tyroliennes ; c’était un marchand de bestiaux qui se déplaçait à pied.
Notre classe était toute petite : 18 élèves et elle était pleine.
Les maîtresses s’y succédaient à raison de plusieurs la même année, sauf une : Mademoiselle Olga Boniface, qui arrivait de son Ariège natale : Echaye par Saint Girons. Elle est restée 3 ans et logeait chez M et Mme Siaudeau.
En 1953-54, nous avons eu une normalienne. Originaire de Anceins (61), Mlle Jacqueline Pilon venait à vélo. Elle n’hésitait pas à venir jusqu’à la maison, souper à la ferme, et remonter à l’école, à travers bois, la nuit, avec une lanterne tempête.
Dynamique, c’est elle qui a fait en sorte que je poursuive mes études.
Suite à la visite de l’Inspecteur de l’Éducation Primaire, l’Enseignement (l’institutrice et l’inspecteur) a pensé que j’étais apte à poursuivre mes études. Il fallait donc convaincre Papa.
Quand il était question d’avenir :
- aller travailler : hors de question d’aller travailler chez les autres ; question d’honneur ; et puis il y a assez de travail à la maison.
- être coiffeuse : c’était le rêve de toutes les petites filles ; hors de question d’aller trier les poux dans la tête des autres.
- être institutrice : c’était envisageable mais pour cela il fallait que je quitte la maison.