GénéGallois

La famille, les histoires et l'Histoire

1960

Deuxième année à l’école normale (1959-1960). Année du Premier Bac. Et cet examen se passait en 2 sessions : une en février, une en juin.

Les épreuves de juin se terminent.
Le samedi 18 juin, alors que je rangeais mes affaires :

Mademoiselle Halewyn, la Directrice vous attend dans son bureau, me dit une pionne.

Panique à bord. Qu’ai-je fait ? Ou pas fait ? Pas de réponse…

Je frappe et pénètre dans le bureau de la Directrice qui, sans lever les yeux, me dit :

Mademoiselle Haelewyn, votre père a eu un accident, mais il n’est pas encore mort. On viendra vous chercher cet après-midi.

Quelle délicatesse !!
Elle était notre prof de pédagogie !!

Et, en début d’après-midi, Monsieur Émile Jarrier, maire d’Avernes, et ami de Papa, est venu me chercher. Et de lui, j’ai appris que Papa avait eu un accident, en bottelant du foin.

À l’époque, il n’y avait pas de tracteur à la ferme. Les travaux se faisaient avec des chevaux : deux juments percheronnes, dociles, gentilles, que nous côtoyions et chevauchions sans problème. L’une d’elle avait un petit poulain, qui l’attendait à l’écurie.
L’heure de la tétée était arrivée, mais l’orage menaçait et Papa voulait absolument terminer de botteler le carré de foin au fond du “pré des Peupliers”.

La botteleuse “bourre” et Papa, chevaux arrêtés, entreprend d’enlever le foin amoncelé dans le tambour, hérissé de pics, qui faisait monter le foin dans la machine.
La jument s’emballe, et Papa est littéralement happé, boulé, sur plusieurs dizaines de mètres.

Diagnostic : poitrine broyée, blessé intransportable. À cette époque, pas d’ambulances ; l’hôpital le plus proche, L’Aigle, est à 36 km.

Notre médecin de famille (Dr Jean Boullard de Vimoutiers) arrive en urgence. Le docteur Beauchef, chirurgien à la clinique de L’Aigle, sur demande du médecin, vient consulter à domicile. Le verdict est sans appel.

Après avoir agonisé pendant plusieurs longues journées (samedi, dimanche, lundi), Papa nous a quittés le 21 juin 1960, soutenu par Jacques Delarue, curé de St Aubin de Bonneval, qui nous fit chercher en hâte à l’étable, où nous étions en train de traire.

Trois longues journées durant lesquelles j’ai passé de longs moments avec lui. Je n’étais pas la seule bien sûr, mais je me suis trouvée seule, et à bout de force, il ne pouvait que répéter :

Si tu savais comme j’ai mal !

Maman avait en sa possession une seringue, laissée par le médecin, à injecter en cas de trop grande souffrance.
Nous l’avons fait, toutes les deux, ensemble, pour apaiser ses trop grandes souffrances.
Je ne peux oublier ce moment, encore, aujourd’hui. Peut-être après l’avoir écrit, ce sera plus facile à porter.

Dernière lettre d'Albert
Dernière lettre d'Albert
Dernière lettre d'Albert
Dernière lettre d'Albert
Dernière lettre d'Albert
Dernière lettre d'Albert

17 ans
Plus de mère, et plus d’espoir d’apprendre quoi que ce soit sur leur vie commune.
Plus de père, alors que j’arrivais à un âge où je pouvais poser des questions, et où je me rapprochais de lui.
Un frère de 19 ans, qui n’avait jamais quitté la maison, et à qui Papa n’avait pas donné beaucoup de responsabilités.
Un frère de 13 ans, surdoué, super intelligent, mais déjà très indépendant.
Une sœur de 9 ans.
Une sœur de 5 ans. Je ne les connaissais pas beaucoup, car j’étais en pension depuis 6 ans déjà (4 à L’Aigle et 2 à Alençon).

Et puis Maman ??? Pour la famille Haelewyn, l’étrangère qui avait pris la place de Ma Mère !!
Celle dont on se méfiait un peu, car avec une personnalité aussi forte que celle de Papa, et des grossesses à répétition, son rôle se confinait à la maison.

C’est ainsi que le soir du décès de Papa, sa sœur (Tante Josse, Joséphine) nous prit, André et moi, par le cou, avec cette mise en garde :

Maintenant, il faudra faire attention qu’Elle ne prenne pas tout pour les siens !

Maman ne conduisait pas la voiture. Seul, André avait son permis de conduire.
Un ouvrier, Marcel Marre, aidait aux travaux de la ferme : sérieux, travailleur, honnête. Ne supportant pas le laxisme d’Andé, il nous a quitté très rapidement.

Norbert, l’Oncle Norbert, désigné par le conseil de famille pour être notre tuteur, à André et à moi (nous étions orphelins de Père et de Mère). Le rôle lui revenait en tant que qu’aîné des frères Haeleyn (Robert et Henri habitaient près de Vierzon).

Toutes les démarches chez le notaire (Me Castera à Vimoutiers) se sont passées sans notre présence.

Je me souviens y être allée une fois, encadrée par Maman et Norbert. Le notaire fut très clair.

En l’absence de contrat de mariage, entre Albert et Agnès, et le mariage ayant eu lieu en Belgique, tout vous revient à votre frère et à voous, mais, sachez que si nous appliquons la loi, votre Maman n’aura plus rien pour élever vos frères et sœurs.

Était-ce jouer sur la corde sensible ?
Y aurait-il eu une autre façon de procéder ?
Je n’en sais rien !

Mais notre part fut évaluée (par qui ? Je n’en sais rien !) à quelques vaches.
Maman insista pour nous remettre cette part à notre mariage.
Ce qui fait que ma “dot” s’éleva à la valeur d’une voiture (Ami 6 – 3CV Citroën) !! Dérisoire non !

Mais il ne fut pas question de nous donner le meuble ou la vaisselle, venant de Maria. Je ne la récupérai que bien plus tard, lorsqu’Agnès est entrée en maison de retraite, et peut-être parce qu’un jour je lui ai dit :

Je veux récupérer tout ce qui vient de Ma Mère.

Après cette réflexion, elle a glissé un petit papier, entre les verres, sans en parler à ses enfants :

Donner à Andréa ce qui vient de sa mère.

J’ai beaucoup admiré Maman Agnès, et avec Hubert nous avons beaucoup fait pour elle.

Lorsque j’ai commencé à enseigner, Maman ne possédait toujours pas le permis de conduire. Lorsque j’ai eu cet examen, j’enseignais à St Germain d’Aunay. Je me déplaçais donc avec la Frégate, mais je subvenais à tous les déplacements de Maman et des sœurs.
Je rentrais à la ferme chaque mercredi soir – jeudi étant congé -, chaque samedi soir.

À cette époque, Hubert avait terminé son service militaire, et nous avions pris la décision de nous marier aux grandes vacances. Nous nous voyions à Avernes, chaque mercredi soir, et au week-end.

Maman trouva à redire, mais ma réponse fut cinglante :

Ou tu acceptes qu’Hubert vienne me voir à Avernes, ou je reste à St Germain et il viendra me voir là-bas !

Il n’en fut plus jamais question !

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